Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

Osez osez Bashung

Alain Bashung, le talentueux, le sombre, l’énigmatique, le magnifique… Amateur du verbe, de la parole bien dite et de la musique, le chanteur a réussi à livrer plusieurs des plus beaux titres de la chanson française. Il est à mes yeux un poète au sens étymologique du terme. Poiêsis pour les Grecs signifie « création », du verbe poiein (« faire », « créer »). Bashung fait partie de la trempe de ces génies qui passent ici-bas aussi vite qu’une comète et qui, dans leur sillage, laissent une empreinte, un parfum, un son. A l’image des génies, il y eut un avant et un après Bashung.

 

Tout le monde se souvient de « Gaby, Oh Gaby », de « La Nuit Je Mens » ou encore de « Madame Rêve »…Il y a chez Bashung une fascination pour le double. Double personnalité, double langage, double sens. Alors même que l’on pense avoir saisi la signification de ses textes, une autre lecture se fait jour…Qui écoute une chanson de Bashung est dans un constant et délicieux déséquilibre où coexistent plusieurs espaces distincts qui souvent finissent par se télescoper.


Bashung jouait avec les mots comme personne. Ceux qui s’y sont essayés avec talent, se nomment Gainsbourg, Vian….excusez du peu. Bashung excellait dans l’art d’instaurer entre les mots de drôles de mariages qui étaient davantage de l’ordre de la récréation que de l’incongruité. Parmi les plus connus « tu m’as conquis j’t’adore » (SOS Amor), « Robins Crusoë n’a plus un vendredi de libre ».

 

Bashung affectionnait l’usage d’une figure de style particulière, celle de remplacer des mots par des homophones qui confèrent au texte un sens nouveau. Ainsi, le début de Volutes ne se laisse pas aisément découvrir : « Vos luttes partent en fumée / vos luttes font des nuées / des nuées de scrupules », que l’on peut tout à fait entendre, titre du morceau à l’appui : « Volutes partent en fumées / […] font des nuées / dénuées de scrupules ». Bashung excelle dans l’art de brouiller les pistes, le trouble étant accentué par une sémantique vaporeuse.

 

Bashung était par ailleurs adepte de l’allitération (répétition de consonnes dans une suite de mots rapprochés) dont « Osez Joséphine » nous offre une pépite en la matière dans la phrase « user l’usurier / soyez ma muse », ou encore « le roi des scélérats à qui sourit la vie »…

 

En novembre dernier, la sortie d’En Amont, son album posthume (arrangé par Édith Fambuena, talentueuse musicienne qui a signé la réalisation du magnifique Fantaisie militaire) a impressionné. Un opus de très belle facture alors que l’appréhension était de mise. C’est dans ce disque que figure notamment le poignant « Immortels » écrit par Dominique A et dont les vers « Et toi qui n’es plus là/c’est comme si tu étais/plus immortel que moi/mais je te suis de près », une décennie après sa disparition, résonnent aujourd’hui comme un requiem.

 

Plus que jamais, osons, osons Bashung.

 

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Photo : Capture d'écran Youtube

 



23/05/2020
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