Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

Oh, c’est quoi ? Un collier pour chien ?

Que celui qui n’a jamais reçu un cadeau qui ne lui plaisait pas, lève la main. Recevoir un cadeau est un exercice délicat. Beaucoup plus délicat que celui de recevoir un cadeau à l’occasion de Noël. La raison ? Vous focalisez sur votre personne, à ce moment-là, toute l’attention. Le don qui vous est fait n’est pas dilué dans un échange bruyant de cadeaux, comme à Noël, où, pour être sincère, on ne sait plus qui offre à qui, qui a reçu quoi et d’ailleurs tout le monde s’en moque.

 

Offrir un cadeau est également un exercice délicat. Derrière le "donner-recevoir" se révèlent bien d’autres choses qu’un acte banal et anodin. Au début du siècle dernier, Marcel Mauss, ethnologue, étudia le don dans les sociétés dites archaïques. Notamment chez les Maoris de Nouvelle-Zélande et chez les Kwakiutls, peuple amérindien du Canada. Ses observations (consignées en 1925 dans son "Essai sur le don") restent d’actualité pour comprendre ce qui ressemble à une forme d’échange. Comme dans la kula, le système d’échange des Maoris, ou dans le potlatch, son équivalent chez les Kwakiutls, nous jouons nous aussi le jeu de "l’échange volontaire obligatoire" : nous offrons en partie parce que nous le voulons bien et en partie parce que la tradition nous y oblige. Selon l’ethnologue, nous serions même soumis à une triple obligation : celle de donner, mais aussi de recevoir (qui oserait refuser le cadeau d’un tiers ?) et de rendre cadeau pour cadeau, faute de quoi nos relations peuvent être rompues.

 

Comme expliqué précédemment, je distingue le cadeau offert à l'occasion d'un anniversaire, par exemple, de celui offert à Noël. La particularité des cadeaux de Noël est qu’ils s’échangent dans un contexte où l’on tente d’actualiser le mythe de l’harmonie familiale. Mais ce rassemblement clanique entraîne souvent une accentuation des tensions qui le traversent. Dès lors, le cadeau devient plus que jamais un langage. Il permet à chacun d’affirmer sa position, de régler ses comptes.

 

Noël ou anniversaire, il y a les listes. Ah les listes ( !) et les "Tu me fais ta liste pour ton anniversaire ?"; ce à quoi je suis très tentée de répondre "Alors, j'ai besoin d'un paquet de beurre demi-sel, de yaourts au soja, de 4 citrons et d'une tablette de chocolat noir…"

 

Il y a aussi les "Je ne sais pas quoi t’offrir pour Noël. Et puis je n’ai pas le temps. Entre Machine et Machin pour qui je dois encore trouver des idées…Tiens, t’aurais pas une idée pour Machine ? Sinon, tu me fais ta liste ?" ; ce à quoi je suis très tentée de répondre "Tant qu’on y est, tu ne veux pas que je me charge de tes achats ?". Il y a encore les "J’ai failli te l’acheter mais tu es tellement difficile que…" ou les "Tu sais, c'est un beau cadeau. Je ne vais pas te dire ce que cela a coûté.."... ce à quoi je suis tentée de répondre "Mais tu en meurs tellement d'envie !"

 

Chacune, chacun a aussi des souvenirs de cadeaux ratés. Soit offerts, soit reçus. Il existe divers registres et degrés de ratage en la matière. Souvent le "Oh, fallait pas !" signifie qu’effectivement qu’il ne fallait pas…du tout. Soit parce que notre déception est grande, soit parce que nous ne nous sentons pas dignes de recevoir ledit cadeau.

 

Que dire des cadeaux qui reviennent chaque année comme ces sujets en journalisme que l’on appelle des "marronniers" ("Dieu existe-t-il ?" - NB : si oui, qu'il m'appelle. Mon numéro de portable 063000000... j'ai un truc à lui dire -  "Perdez trois kilos avant l’été" …). Les émetteurs de ces cadeaux récurrents seraient-ils en mal d’inspiration ? Ou, parce que nous avons exprimé une joie somme toute banale la première fois, se disent-ils qu'il est possible de réitérer l’exercice à moindres frais (= le risque de se tromper) ? En matière de réaction, j'ai une affection particulière pour le "C'est quoi au  juste ?" dit autrement "A quoi ça sert ?", sachant que jusqu’à présent on s’en est remarquablement bien passé.

 

Un hommage soit rendu ici à celles et ceux qui tentent le cadeau que j’appelle le cadeau dit du collier de nouilles (fait maison). Parce que, quel que soit l’effet produit, il faut oser. Oser se mettre à nu, quitte à vous prendre un râteau monumental. Imaginons…Vous avez un talent caché (mais très caché) dans la confection de bijouterie fantaisie. Et vous voilà offrir pour l’anniversaire de votre meilleure amie, un collier. Surprise et dubitative par ce qu’elle découvre, celle-ci vous répond (parodiant la scène culte du film "Un air de famille"),

-        Encore une laisse ?

-        Non c’est un collier !

-        Oh mais c’est beaucoup trop luxueux pour un chien !


Bref. Tout cela pour dire que l’acte d’offrir un cadeau est loin d’être anodin et facile. A moins que l’on se fiche éperdument du retour de l’autre, de ce qu’il en pense, de la façon dont il reçoit ledit cadeau. Mais offrir ne serait-il pas aussi parfois un acte un tantinet égoïste ? Donner c’est un peu flatter son ego et, quand on parvient à faire mouche, à prendre du plaisir à voir l’autre heureux tout en se disant qu'on a eu, momentanément, ce pouvoir là. Offrir ne serait-il pas aussi parfois se débarrasser d’une contrainte sociale ? Finalement, le don à l’autre, détaché, affranchi de toute convention sociale et de date particulière à fêter, n’est-il pas le plus remarquable (au sens d’être remarqué) ?

 

 

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Image par Michael Schwarzenberger de Pixabay

 

 



25/10/2020
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