Sous la plume de Jeanne

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Les lapins de Lulu

Dans la famille des léporidés (et non  des « les peaux ridées » quoi que…), il y a les lièvres et les lapins. Parmi les lapins, il y a le lapin blanc dans Alice au Pays des Merveilles, celui qui porte un gilet et une montre à gousset qu’il consulte sans cesse en s’écriant qu’il est en retard. Il y a Pan-Pan dans Bambi, rendu célèbre par son tapement de patte sur le sol afin de réveiller ses congénères. Il y a bien-sûr Bugs Bunny. Mais, il y a aussi les lapins de Lulu.

 

Lulu, je l’ai rencontré un matin d’hiver au zinc du Cyrano, un café où je fais escale lors de mes promenades vélocipédiques. Lui avait commandé un blanc. Moi un noir. Comme il faisait froid ce matin là et que j’étais emmitouflée jusqu’aux oreilles, Lulu me dit qu’il était vraiment dommage que je n’ai pas de peaux de lapin pour me tenir chaud. Comme avant.

 

- Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… « Pooo d’lapin ! Pooo d’lapin ! », ça vous parle ?


Et Lulu de me raconter qu’en son temps, on entendait régulièrement cet air psalmodier dans les rues par des garçons tirant des charrettes sur lesquelles s’entassaient des peaux de lapins apportées, moyennant finance, par les habitants des quartiers environnants. Ces peaux finissaient, après traitement, en manteaux de fourrure pour « ces dames ».

 

- Certains vendeurs peu scrupuleux allaient même les faire passer pour des visons. La belle affaire !

 

Lulu s’approcha de mon visage. Surprise, je fis un mouvement de recul.

 

- Je vois votre œil friser. Vous vous demandez d’où pouvaient venir ces peaux de lapin, pas vrai ? A l’époque, tout à chacun avait sa cage à lapins avec une ou deux lapines qu’on apportait périodiquement pour quelques jours chez un voisin qui possédait un bon reproducteur, si vous voyez ce que je veux dire. Les lapereaux devenus grands, représentaient un apport non négligeable dans l’alimentation des familles. Les lapins étaient nourris essentiellement avec des épluchures de légumes et de fruits, des restes de pain, quelques céréales et surtout de l’herbe à lapins ramassée dans les chemins et les prairies. Gamin, je passais des heures à courir la campagne pour remplir des paniers de laiteron et autres plantes dites à « lapin ». Gare à celui qui aurait ramassé du mouron rouge, une plante qui pouvait décimer une nichée entière.

 

Lulu m’expliquait que le moment venu, chacun dans une famille savait tuer un lapin, sans le faire souffrir ; le dépouiller, mettre la peau retournée sur une fourche de coudrier à sécher jusqu’au prochain passage du collecteur.

 

- Bien-sûr, lorsque l’urbanisation a commencé à s’étendre un peu partout, que des grands ensembles ont poussé comme des champignons, il était n’était plus possible d’envisager de faire son petit élevage dans ces nouveaux logements. Quoi que…


De nouveau, Lulu s'approcha comme s'il avait un secret à me confier.

 

- Je vais vous narrer ici une histoire peu connue. Ecoutez bien ce qui suit…Dans les années 40, autour de Paris, des ensembles d’immeubles sont sortis de terre pour accueillir tous ces provinciaux qui affluaient vers la capitale. Pauvres d’eux… On appelait ces constructions se référant à la loi Loucheur, des HBM, des habitations à bon marché.

 

Puis Lulu se recula et se redressa.

 

- Voyez-vous, il se trouve que le grand-père de ma femme a fait partie en son temps de l’administration de ces HBM. Il était en charge de percevoir les loyers à domicile. Il racontait que tous les appartements étaient pourvus de salles de bains, avec baignoire s'il vous plait. Un confort perçu à l’époque comme un luxe et dont les occupants, habitués aux bains-douches municipaux, ne savaient que faire. Chacun en a donc détourné l’usage initial : les uns en ont fait un lit d’appoint avec un petit matelas. D’autres une réserve à charbon pour la cuisinière. Mais la majorité d’entre eux en a fait...des cages à lapins avec un grillage posé par-dessus. Les vieilles habitudes ont le cuir dur, n’est-ce pas ?


En quittant Lulu, je me suis dit deux choses : primo, l’expression « vivre dans des cages à lapins » (pour signifier vivre dans de grands ensembles), venait peut-être de cette anecdote. Secundo, comme j’avais très froid, j’envisageais dès mon retour à la maison, d’utiliser la baignoire pour…prendre un bain. En glissant le pied dans l’eau chaude, j’ai eu une pensée émue pour tous ces laporidés néo-urbains qui n'avaient rien demandé qui ont du se demander ce qu’ils faisaient dans cette galère d’émail blanc.

 



23/05/2020
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