Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

A la piscine, il y a….

Aller à la piscine, nager, enchainer des longueurs, éprouver le plaisir de la glisse avec des palmes, écouter sous l’eau les sons devenus sourds, entendre son cœur battre vite, reprendre son souffle… Aller à la piscine, c’est, à mes yeux, bien davantage qu’une démarche hygiénique. C’est à un bassin de 25 mètres que je dois une forme de renaissance, il y a plusieurs années de cela. Alors que mon âme et mon corps étaient corsetés dans d’infinies douleurs physiques et morales, c’est à une petite piscine de quartier des années 70 et à son bassin carrelé un peu désuet que je dois donc mon salut. Alors que je me sentais plonger doucement dans les abîmes, proche d’une fin sûrement probable, ma part d’instinct animal, de survie, s’est soudain réveillée. La force qu’il me restait je l’ai mise dans mon sauvetage. Cette délivrance c’est dans la chaleur d’un bassin que je l’ai trouvée ; tout comme dans celle des personnes rencontrées dans ce lieu, depuis toutes ces années.

 

Qui pourrait imaginer que ce petit univers aquatique surchauffé réunisse en son sein un échantillon de la société ? Certains bienveillants, attachants. D’autres dont l’ADN révèle une forte proportion de lamentations ou qui n’ont de cesse de râler pour tout, pour rien, d’autres encore dont…


A la piscine, il y a Alicia, la cinquantaine dont les yeux ne perçoivent plus aucune forme de lumière. La faute à une vilaine maladie génétique. Aujourd’hui, Alicia ne voit plus ni ombre, ni rai de lumière. La nuit est tombée sur sa vie, comme un rideau que l’on baisse doucement, subrepticement. Alicia ne se plaint jamais. Je sais quand elle arrive à la piscine au bruit de sa canne qu’elle cogne contre les obstacles. Son « bonjour » lancé à la cantonade est toujours enjoué, gai. Elle et moi sommes devenues très proches. A la piscine, je suis ses yeux. Je la guide jusqu’à sa ligne de nage et la voilà qui s’élance sous l’eau. Alicia me fait souvent sourire.
- Devine ce qui vient de m’arriver ? Je nageais sous l’eau et soudain, j’ai touché le corps d’un homme.
- Comment sais-tu que c’était un homme ?

- Tu veux un dessin ?

Parfois Alicia me tord le cœur.

- Si une fée était près de moi, je lui demanderai de réaliser un rêve. Un seul.
- Voir ?
- Non. Voir mes petites filles.


A la piscine, il y a Christophe, la soixantaine. Sec comme un coup de trique, les côtes saillantes, maigre si maigre qu’Alicia ne regrette pas d’être aveugle. Indécrottable sportif, quand il n’est pas sur son vélo, il est dans l’eau. Célibataire endurci après un divorce compliqué, gare à celui ou celle qui empiète sur sa liberté. Pourtant, il est attachant et je crois savoir qu’il m’aime bien. Lorsqu’il arrive, il me colle un de ces bisous…

- Mon Dieu, quelle horreur ces baisers. Il bave, mais il bave…me dit Alicia la moue dégoûtée.

- Comme un escargot, oui je sais. Mais c’est un gentil garçon.

- Tu as vu comme il s’approche des lèvres quand il nous claque la bise ? Il le fait exprès ?

- Il est en manque qui sait.

- Peut-être mais je ne suis pas Mère Térésa. Et j’ai ce qu’il me faut à la maison.


A la piscine, il y a Colette, 85 printemps, qui commence à sucrer les fraises et qui me demande désormais à chaque fois que nous nous croisons :

- Il est gentil avec toi ton homme ? Et ta minette, elle en est où ?

 

A la piscine, il y a Yvan, la cinquantaine. Un physique à la Yul Brynner. Sous un aspect un peu rustre, notre homme est d’une grande délicatesse. Il m’adresse ses bonjours par un baisemain, m’appelle « Mademoiselle » (encore ! encore !) pratique le yoga et la méditation et me parle souvent de sa chérie. C’est d’un énervant les couples qui s’aiment toujours autant après des années de mariage Clin d'œil.

 

A la piscine, il y a « Monsieur tablette de chocolat », lui aussi la cinquantaine. Une vraie gravure de mode dont le bonjour et le regard qui va avec me font fondre comme un chamallow au soleil. Un corps d’athlète, pas l’once d’un pet de gras quand ses congénères ont la ceinture abdominale qui commence à pendouiller sévère ; une démarche féline. Bref. Derrière ce physique de mannequin, il y a aussi un homme qui accompagne des enfants atteints de déficiences mentales ou physiques, dont les corps sont parfois déformés, qui se déplacent avec peine ou ne peuvent marcher. Alors « Monsieur Tablette de chocolat » se penche sur l’enfant assis dans un fauteuil roulant, l’enserre de ses bras musclés, et le porte jusqu’au bassin avec force et sourire. Respect.


A la piscine, il y a aussi des sourires, des « bonne journée », des « ça va mieux ? », des « ne t’en fais pas, ça ira mieux demain ». A la si bien dénommée piscine Monplaisir, la vie est belle.

 

 

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Image by Markus Spiske from Pixabay

 

 



23/05/2020
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