" Faut reconnaître… C’est du brutal "

« Là où y a de la gêne, y a pas de plaisir »…Une phrase qui aurait pu trouver sa place dans ce qui représente à mes yeux la quintessence d’un humour qui dégaine à tout-va, « Les Tontons flingueurs », film réalisé par Georges Lautner. Des acteurs (Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche, Claude Rich et Jean Lefevre) qui dégoupillent, des dialogues taillés à la serpe par le virtuose en la matière, Michel Audiard….

Le 27 novembre 1963, à la sortie de ce qui deviendra une référence de la comédie populaire au panthéon national du 7ème art, le public applaudit des deux mains quand une certaine critique fait la fine bouche. Truffaut et Godard, les porte-étendards de la nouvelle vague, voient dans ces dialogues, « un triple mépris du cinéma, des personnages du film et du public ». Le critique de cinéma Henri Chapier considère, quant à lui, le film comme un cinéma de chansonnier. Sept ans plus tard, « Les Tontons flingueurs » continuent d’alimenter les verbiages de la critique. En 1970, un journaliste du Nouvel Obs lâche les fauves avec une critique, comment dire… : « J’ai déjà marché dans du Audiard, mais c’était du pied gauche et ça m’a porté chance ! ».

L'histoire du film ? Fernand (Lino Ventura) la résume dans une phrase d’une sagesse et d’une concision remarquable : « On ne devrait jamais quitter Montauban ! ».

Quitte à faire lever les yeux au ciel de certains, Audiard est à mes yeux, le Shakespeare des brèves de comptoir. S’il existait une pléiade des meilleurs dialogues écrits pour le cinéma ou le théâtre, Audiard y aurait ô combien sa place. Ses dialogues sont autant de diamants bruts ciselés avec une précision d’orfèvre. Rien n’est laissé au hasard. Rien de superflu. De l’art, de la concision, une certaine poésie aussi. « Poésie dites-vous ? Comme vous y allez ! » Oui poésie, n’en déplaise à ceux qui ont oublié qu’une langue pour être vivante doit sonner, heurter, caresser, s’abandonner, pour vibrer, émouvoir, faire sourire, pleurer et, forte de tout cela, nous rappeler que nous sommes en vie.

Comme Audiard (en plus modeste...) désampoulons notre langue. Faisons-la claquer au palais. Entre autre vertus, cela nous permettra d'assouplir ce muscle de la joue que l'on appelle le grand zygomatique qui contribue à exprimer la joie (quand le petit zygomatique, lui contribue à exprimer la tristesse...Ne vous trompez pas de zygo !).

Sur l’air de « Y a pas de mal à se faire du bien »….petite anthologie de quelques répliques cultes.

« Non mais t'as vu ça ? En pleine paix ? Y chante et pis craque, un bourre-pif ! Mais il est complètement fou ce mec ! Mais moi les dingues, j'les soigne, j'm'en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j'vais lui montrer qui c'est Raoul. Aux quatre coins d'Paris qu'on va l'retrouver, éparpillé par petits bouts façon puzzle... Moi quand on m'en fait trop j'correctionne plus, j'dynamite... j'disperse... et j'ventile... »

« Patricia, mon petit... Je voudrais pas te paraître vieux jeu ni encore moins grossier. L'homme de la Pampa, parfois rude, reste toujours courtois mais la vérité m'oblige à te le dire : ton Antoine commence à me les briser menu ! ».

« Mais y connaît pas Raoul ce mec ! Y va avoir un réveil pénible ! J'ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter qu'le sang coule... Mais maintenant c'est fini... je vais le travailler en férocité... le faire marcher à coups de latte... A ma poigne je veux le voir... Et je vous promets qu'il demandera pardon !...

Et au garde-à-vous ! »

« Nous dans le métier, les ruptures, les retrouvailles, toutes les fluctuations de la fesse, on préfère pas s’en mêler. Moi j’ai un collègue comme ça, transporteur de cocu, y s’est retrouvé criblé en plein jour, rue Godeau, par une maladroite ».

« C'est curieux chez les marins, ce besoin de faire des phrases ! »