Sous la plume de Jeanne

28 décembre 1974. Jacques Brel se trouve au milieu de l’océan Atlantique. A bord du Korrig, un bateau de 15 mètres de long, il apprend à naviguer en haute mer. Se sent-il seul ce soir là ? Probablement. Sûrement. Voici la lettre touchante et émouvante qu’il adresse à l’un de ses amis les plus chers : l’acteur Lino Ventura. Deux hommes qu’a priori tout opposait. Brel, l’indomptable, le bohème. Ventura, le taiseux, le rangé. Une amitié nourrie de tendresse. Ce cette tendresse exprimée du bout des lèvres parfois ; tue à d’autres moments par trop de pudeur. Les silences ne servent-ils pas à cela aussi ? A exprimer ce que l’autre sait déjà.

Cher Lino,

Plus de deux mois en mer déjà sur ce petit bateau, du vent, des orages, de la pluie qui lave et ce soir l’envie de te parler. Tu sais, Lino, je suis plus jeune que toi mais je crois tout de même être autorisé à te dire que je t’aime bien. J’ai rencontré si peu d’hommes en 45 ans qu’il me semble une faute de ne pas les serrer un peu contre moi, même si en échange, j’ai bien peu à donner. Tu vois, je ne sais ni ce que sera ta vie ni ce que sera la mienne mais je trouverais désolant que nous nous perdions trop. C’est si rare la tendresse.

Neuf ans plus tard, au cours d’un entretien, Lino Ventura confiera :

J'avais deux amis. Ils s'appelaient Georges Brassens et Jacques Brel. Chaque soir de ma vie, je pense à eux. Un homme qui n'a plus un ami pour lui dire la vérité est un homme perdu ; J'avais avec Jacques Brel une complicité intérieure. Celle du cœur, qui meublait nos éclats de rire et nos silences. Tu sais, en amitié, on n'a pas besoin de grand-chose. C'est un courant continu, quelque chose de mystérieux. On se parlait, même en ne se disant rien. 

En amitié, comme en amour, souvenons-nous de cette touchante mise en garde : "mais je trouverais désolant que nous nous perdions trop".

Image par h kama de Pixabay

Merci à Stéphane :-)