Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

La couleur de l'âme

Plus jeune, je n’avais de cesse de me poser des questions sur la vie, son essence, son "utilité". Je n’ai jamais trouvé de réponse sauf parfois dans mes lectures philosophiques. En prenant de l’âge, j'ai décidé que je n’avais plus le temps de me poser des questions sur la vie et qu’il était grand temps de la vivre. De mon mieux. Avec ses coups de soleil et ses coups bas. Avec sa lumière et ses ténèbres. Sans essayer de la comprendre. Juste la vivre. C’est déjà beaucoup pour quelqu’un qui a une fâcheuse tendance à tout décortiquer, analyser, intellectualiser. Depuis ça va beaucoup mieux. Enfin presque. Comme disait Jean d’Ormesson, "désormais j’ai décidé de me foutre de tout" (sic).

Mais, voyez-vous, je crois que je n’ai pas encore l’âge de me fiche de tout même si, depuis un certain temps, j’ai entrepris de me déconnecter de toute surinformation (ou "infobésité"). La médiatisation à outrance de ce 21ème siècle et ce qu’elle colporte me fait froid dans le dos. De plus en plus. Savoir ce qui se passe dans le vaste monde en tendant l’oreille sur le flash matinal d’une radio périphérique me suffit. De plus en plus. D’autant lorsque certains cerveaux - probablement creux ou emplis d’eau gazeuse – expectorent des certitudes sur tout, nourrissent la provocation, se repaisssent de discours parfois violents, de théories fumeuses, relisant l’Histoire à leur façon.

 

Ainsi en fut-il récemment concernant cette question de « racisme "anti noir" ». Comme une trainée de poudre, le débat a envahi toute la logosphère, la rue, les plateaux de télévision. Et bien sûr, chacun a son mot à dire, tout le monde a un avis. Et ainsi, de déchainer les foules, les passions. Et de nous montrer à cette occasion, ce dont le genre humain peut être capable. Lorsque j’écris cela, je pense à son côté sombre.

 

Qu’est-ce qu’être noir ? Qu’est-ce qu’être blanc ? En me posant cette question, je me suis souvenue d’une discussion que j’avais eue avec mon meilleur ami, Camille, aujourd’hui disparu. Camille était béninois. Arrivé en France, il avait multiplié les petits boulots. Dormi où il avait pu. Mangé comme il avait pu. A la force du poignet, par sa seule pugnacité, il s’était donné les moyens d’embrasser une belle carrière. Pour ce faire, il suivit des années durant les cours du soir du Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, alors qu’il était marié et déjà père d’une famille nombreuse. Respect. Un jour, il me raconta combien cela lui avait été difficile de gravir les échelons, de se faire une place "au soleil" et de terminer ses phrases par "parce que j’étais noir, je devais en faire deux fois plus". Je marquai mon étonnement.

 

- Mais tu n’es pas noir ?

 

Camille partit dans un éclat de rire caverneux.

 

- Je t’adore !

 

J’essayais pourtant d’expliquer à mon ami que jamais je ne l’avais vu ni perçu ainsi. Pourquoi ? Je l’ignore. De même, lorsque je croise des personnes de couleur, mon cerveau ne les identifie pas par leur couleur mais par leur façon de marcher, de sourire, de parler…de vivre.

 

- Tu veux que je te le fasse avec l’accent « nouarrr ! » me répondit-il en souriant de ces belles dents blanches. Je suis quoi alors ?

- Tu es Camille.

- Et si je te dis Barack Obama ? Ne me dis pas que tu ne le vois pas noir ! Peut-être l’est-il moins que moi d'ailleurs. Attends que je regarde...


Pendant que Camille recherchait une photo de l’ancien Président des Etats-Unis, je m’étonnais presque d’apprendre que Obama était noir.

 

- Barack Obama n’est pas noir.

- Mince alors ! Quand même !

- Quand même quoi ?


Camille me regarda avec cette infinie tendresse qui le caractérisait.

 

- Pour tout le  monde, je suis noir. Certains mettent même des qualificatifs ; noir charbon, noir cirage, noir ébène, chocolat…tu es bien la seule à ne pas me voir noir ! précisa-t-il en souriant.

 

Camille était ainsi, il s’amusait de tout, y compris de choses qui pouvaient le blesser.

 

- Et je vais t’expliquer pourquoi tu ne me vois pas noir. Parce que ce que ton regard porte au-delà de ce que les autres peuvent voir. Tu ne vois pas ce que l’image reflète à l’extérieur mais bien autre chose. Ce que l’on appelle en Afrique l’âme. C’est cela que tes yeux voient.

- Dis-moi Camille, penses-tu que l’âme, en Afrique ou ailleurs, ait une couleur ?

- Ah Jeanne ! répondit-il avec bienveillance. Ça, je ne sais pas. Si elle en a une, elle doit sûrement avoir une belle couleur. Car l’homme est bon.

- Tu crois ?

 

« Amstrong, un jour, tôt ou tard,
On n'est que des os...
Est ce que les tiens seront noirs ?
Ce serait rigolo
Allez Louis, alléluia !
Au delà de nos oripeaux,
Noir et Blanc
Sont ressemblants
Comme deux gouttes d'eau »

« Amstrong » Claude Nougaro 

Merci a Marie

 

 

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Image par Gerhard G. de Pixabay

 



05/07/2020
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