Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

A l'ère de la toutologie

Depuis que l’homme se tient debout (et qui sait, peut-être avant), la connaissance, le savoir, l’expertise ont toujours fasciné. Surtout ceux qui ne l’avaient pas. Ces derniers allaient-ils en rester là ? Non. C’est alors que certains se sont métamorphosés en « toutologues ». Qu’est-ce qu’un toutologue ? C’est une personne qui donne son avis sur tout et qui se pose experte dans tous les domaines, bien que cela ne soit pas le cas.

 

Depuis, les toutologues ont fait des petits et se sont reproduits comme des lapins à un point tel qu’aujourd’hui, le monde est envahi de toutologues. D’autant depuis la crise sanitaire, d’autant plus à l’ère des réseaux sociaux. Chacun y va de son petit laïus, de son « expertise », souvent avec un tel aplomb que chaque thèse et antithèse en deviendraient crédibles. Sans même parler de leur surreprésentation sur les plateaux de télévision, qui n’a jamais rencontré dans son entourage de toutologue ? Vous avez quelqu’un en tête ? Plusieurs ? Au fond, ne sommes-nous pas tous toutologues ? Lorsque le phénomène se produit de façon épisodique, ce n’est pas si grave. Mais soyons vigilants face au syndrome de la « toutologie » qui peut frapper chacun d’entre nous. Et s’il vous arrive de croiser un toutologue « expert en toutologie », parlez-lui d’ultracrépidarianisme. Il en restera comme deux ronds de flan.


Ultracrépidarianisme…Je ne me lasse pas de répéter ce mot depuis que je l’ai découvert. D’une part parce qu’il est rare. D’autre part parce qu’il est difficile à prononcer sans trébucher et qu’il me fait penser au pétillant Supercalifragilisticexpialidocious de Mary Poppins. Outre le fait qu’il soit inconnu de la plupart d’entre nous, ce mot est par ailleurs un excellent outil d’exercice oral pour détacher les syllabes et parler clairement.

 

Vous voulez briller en société ? Rabattre le caquet de cette Marie-Chantal qui vous insupporte avec ses avis sur tout ? Allons-y pour la séance « vous saurez tout sur l’ultracrépidarianisme ». L’ultracrépidarianisme est un mot ancien pour désigner ce dont nous parlions en préambule, la « toutologie ».

 

Sutor ne supra crepidam !

Ce mot, ultracrépidarianisme, provient d’une locution latine « Sutor ne supra crepidam », qui signifie « Cordonnier, pas plus haut que la sandale ! » ; dit autrement « limite-toi à parler de ce que tu connais ». L’origine de cette locution se trouverait dans « L’Histoire naturelle » de Pline l’AncienÀ travers cette encyclopédie monumentale qui fut considérée comme une référence en matière de science et de technique, Pline racontait une série d’anecdotes, dont une concernant l’ultracrépidarianisme. Dans ce fameux ouvrage, Pline raconte que le célèbre peintre Apelle, contemporain d’Alexandre Le Grand, travaillait dans son atelier lorsque son cordonnier, qui en latin se dit sutor, s’était approché de la toile pour lui signaler une erreur dans la représentation d’une sandale, qui se dit « crepida » en latin du mot « krepis » en grec. Le peintre corrigea immédiatement sa toile. Mais le lendemain, le cordonnier, encouragé par son zèle, fit d’autres remarques dont une portait sur la manière dont le peintre avait représenté la jambe de l’un de ses personnages. Mais notre peintre se fâcha tout rouge. Ce qui valut à notre cordonner cette réplique cinglante : « Sutor, ne supra crepidam » qui véhicule l’idée qu’un cordonnier ne devrait pas donner son avis plus haut que la sandale. Une réplique qui est donc devenue un proverbe.


Cet ultracrépidarianisme a été décrit en 1891 par Charles Darwin Darwin comme le fait que l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance. Ce phénomène est aussi connu sous le nom d’effet de « surconfiance en soi » ou encore d’effet Dunning-Kruger, du nom des deux scientifiques qui ont conduit une recherche sur ce sujet. Dit plus simplement, ladite personne atteinte de cet effet, est persuadée d’être hyper compétente, ce qu’elle n’est absolument pas.

 

Je ne peux résister à l'envie de vous raconter une anecdote dont, justement, nos deux scientifiques se sont emparés pour étudier ce phénomène. Nous sommes en 1955 aux Etats-Unis. Un  individu attaque deux banques le visage enduit de jus de…citron. Arrêté, il explique avec aplomb qu'il était persuadé d'être invisible pour les caméras de surveillance, selon le même principe que l’encre sympathique (j'aime !).

 

« Le problème avec le monde, c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes tandis que les plus stupides sont pleins de confiance » (Charles Bukowski, écrivain américain).

Vive la toutologie ! Ça permet de vous proposer un (excellent) nouvel article :-)



24/09/2021
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