Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

Le carnet

C’était un soir de pleine lune. De ces soirs où la lune se prendrait presque pour le soleil tant sa lumière est nitescente. C’était le jour de la Sainte Lucie (tiens ? Encore une histoire de lumière). D’un œil plus que distrait, je regardai la télévision lorsque le visage de cette jeune femme apparut sur l’écran. La trentaine, des yeux en amande, le visage hâlé par l’air marin, un sourire solaire (tiens, encore une histoire de lumière). Nous appellerons cette jeune femme Lucie...

 

Lucie racontait qu’elle avait grandi des bottes de caoutchouc aux pieds. Enfant, lorsqu’elle accompagnait son père (ostréiculteur depuis trois générations), elle lui rapportait davantage de cailloux que de palourdes. Combien de fois son père l’a-t-il dissuadée d’en faire son métier tant le quotidien est rude, éprouvant ? Lucie entend. Elle entend aussi une petite voix qui lui chuchote autre chose.

 

- Je revois encore le visage de mon père lorsque je lui ai annoncé que je souhaitais devenir ostréicultrice. Il avait ce sourcil relevé…

 

 Trois mois plus tard, le père de Lucie apprend qu’il est atteint d’un cancer. Il n’en a plus pour longtemps.

 

- Tu prends un carnet et tu notes. Tout.

 

Lucie note. Tout. Tout ce que son père lui apprend, lui montre jusqu’à l’emplacement de la boîte à clous rangée sur l’étagère en haut à droite, jusqu’au nombre d’huîtres que chaque poche doit contenir…. C’est à ce père que Lucie doit ce qu’elle sait et ce qu’elle est aujourd’hui. C’est à ce carnet aussi. Ce carnet qu’elle a  noirci fébrilement pour garder « le plus possible de lui » .

 

Clap de fin. Un spot publicitaire vient effacer le visage de Lucie de l’écran. Je regarde dans le vide. Puis, attirée par l’éclat de la pleine lune dans cette nuit d’encre, je regarde le ciel. Pourquoi n’ai-je jamais eu l’idée de prendre un carnet et de noter tout ce que mon père me racontait, me confiait, m’apprenait ?  Parfois, quand il se faisait disert et volubile, il me disait « nous devrions prendre rendez-vous tous les deux. Plusieurs fois par mois. Je te raconterais. Tu prendrais des notes ». Il est parti. De notes, il n’y eut jamais.

Le lendemain de la Sainte Lucie, je sortis acheter un carnet. Quelques heures plus tard, je commençai à y poser ma plume. A côté, cette photo en noir et blanc qui ne me quitte jamais. Sur ce cliché froissé, il est jeune. Il est vraiment beau. Et je ne dis pas cela parce que c’est mon père…

 

 

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23/05/2020
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