Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

Exhortation à la désobéissance....

Désobéir....A la seule lecture de ce mot, je suis prise d'une envie irrésistible de...désobéir.

 

Allez savoir pourquoi, j'ai toujours trouvé un plaisir indicible à désobéir. J'ai passé ma vie à désobéir. A mes parents, aux institutions avec lesquelles j'ai été en contact ; à mes employeurs parfois aussi qui, pour certains m'ont invité à prendre la porte. Ce que j'ai fait sans jamais leur rendre.


Désobéir, pourquoi ? Mais pour la jouissance que cela procure. N'avez-vous jamais traversé une rue alors que le feu était vert pour les voitures ? J'ai passé mon temps à le faire. Je continue d'ailleurs. D'aucun me disent "Un jour, ça va finir mal". A quoi je leur réponds "Mais de toute façon, un jour ça finit"...


Je vais vous raconter une histoire. J'ose prétendre au statut de cycliste patentée (et non "pas tentée). Sur l'un de mes parcours quotidiens, je remonte une rue à contre sens. Oui, je sais, c'est mal, mais c'est tellement bon. Un jour, j'ai croisé un homme, âgé, qui marchait sur le trottoir. L'air renfrogné, les traits crispés, la démarche lourde.

 

Lorsqu'il me vit pédaler à contre sens, qui plus est avec allant, son sang ne fit qu'un tour. Il redressa la tête et me héla vivement "Sens interdit !". Ce à quoi, je lui fis un geste...comment vous expliquer. Bref, un geste. Puis je poursuivis ma route, non contente d'avoir une fois encore désobéi. Quelques jours plus tard, je croisais de nouveau mon redresseur de tort. Ni une, ni deux, il me héla avec virulence, "Sens interdit !". Ce à quoi, cette fois, je lui répondis différemment. Les lèvres en cul de poule, je lui adressai à distance deux baisers biens claqués. Enervé, l'homme souleva les épaules et poursuivit sa route. Depuis, lui et moi nous croisons souvent. Adepte du réflexe de Pavlov, l'homme m'envoie à chacune de nos "rencontres" un "Sens interdit !" ; en retour, il reçoit mes becs virtuels pleins d'amour. Vous savez quoi ? Le jour où je ne croiserai plus mon gentil bougon, je serai probablement inquiète et triste. Il me manquera. Car alors qui pour me remettre sur le droit chemin ?

Désobéir... Je vous y invite, un peu, beaucoup ; parfois, souvent et à lire cette exhortation à la désobéissance d'un certain Gustave Flaubert (Extrait de la trop peu connue et néanmoins truculente "Correspondance" de Flaubert). Texte magnifique, corrosif, plein de sel et, à la fin, une ode à la beauté, à la vie....

Gustave Flaubert justement.....notre ami s'était fait renvoyé du Collège Royal en 1839 pour désobéissance et chahut...

 

 

 

 

Exhortation à la désobéissance sociale et à l’évasion

 

 

 

Lettre de Gustave Flaubert à Ernest Chevalier, Rouen, le 15 mars 1842 (20 ans)

 

Fais des farces la nuit, casse les réverbères, dispute-toi avec les cochers du fiacre, langotte les décrotteurs, socratise le chien, foire dans les bottes, pisse par la fenêtre, crie merde, chie clair, pète dur, fume raide. Va dans les cafés, fous le camp sans payer, donne des renfoncements dans les chapeaux, rote au nez des gens, dissipe la mélancolie et remercie la Providence.

 

Car le siècle où tu es né est un siècle heureux, les chemins de fer sillonnent la campagne, il y a des nuages de bitume, et des pluies de charbon de terre, des trottoirs d’asphalte et des pavages en bois, des pénitenciers pour les jeunes détenus et des caisses d’épargne pour les domestiques économes qui viennent y déposer incontinent ce qu’ils ont volé à leurs maîtres. M. Herbert fait des réquisitoires et les évêques des mandements, les putains vont à la messe, les filles entretenues parlent au moins de morale, et le gouvernement défend la religion. Ce malheureux Théophile Gautier est accusé d’immoralité /…/, on met en prison les écrivains et on paye les pamphlétaires. Mais ce qu’il y a de plus grotesque c’est la magistrature, qui protège les bonnes mœurs et les attentats aux idées orthodoxes. La justice humaine est d’ailleurs pour moi ce qu’il y a de plus bouffon au monde, - un homme en jugeant un autre est un spectacle qui me ferait crever de rire, s’il ne me faisait pitié…

 

Voilà l’été qui revient, c’est tout ce qu’il me faut, que la Seine soit chaude pour que je m’y baigne, que les fleurs sentent bon et que les arbres aient de l’ombre /…/.

 

Souvent je hausse les épaules de pitié quand je songe à tout le mal que nous nous donnons, à toute l’inquiétude qui nous ronge pour être fort, pour se faire une fortune ou un nom. Que tout cela est vide et pitoyable !

 

Etre en habit noir du matin au soir, avoir des bottes, des bretelles, des gants, des livres, des opinions, se pousser, se faire pousser, se présenter, saluer, et faire son chemin, ah mon Dieu !

 

Où est mon rivage de Fontarabie où le sable est d’or, où la mer est bleue, les maisons sont noires. Les oiseaux chantent dans les ruines.

 

Je connais encore les chemins dans la neige ; l’air est vif, le vent chante dans les trous des montagnes.

 

Le pâtre y siffle seul ses chèvres vagabondes, sa poitrine ouverte y respire à l’aise et l’air est embaumé de l’odeur du mélèze.

 

Qui me rendra les brises de la Méditerranée ? Car sur ses bords le cœur s’ouvre, le myrte embaume, le flot murmure.

 

Vive le soleil, vivent les orangers, les palmiers, les lotus, les nacelles avec des banderoles, les pavillons frais pavés de marbre où les lambris exhalent l’amour.

 

Ô ! Si j’avais une tente faite de joncs et de bambous au bord du Gange, comme j’écouterais toute la nuit le bruit du courant dans les roseaux, et le roucoulement des oiseaux qui perchent sur les arbres jaunes !

 

Mais nom de Dieu ! Est-ce que jamais je ne marcherai avec mes pieds sur le sable de Syrie, quand l’horizon rouge éblouit, quand la terre s’enlève en spirales ardentes, et que les aigles planent dans le ciel en feu. Ne verrai-je jamais les nécropoles [cimetières] embaumées où les hyènes glapissent nichées sous les momies des rois, quand le soir arrive, à l’heure où les chameaux s’assoient près des citernes.

 

Dans ces pays-là, les étoiles sont quatre fois larges comme les nôtres, le soleil y brûle, les femmes s’y tordent et bondissent dans les baisers, sous les étreintes. Elles ont aux pieds, aux mains, des bracelets et des anneaux d’or, et des robes en gaze blanche…

 

 

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23/05/2020
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