Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

Cher·e·s lecteur·rice·s,

Ah, douce France, pays qui excelle dans l’art du capillotracté (*) ! Et revoici ce débat sur l’écriture inclusive qui refait surface à la faveur de 60 députés signataires d'une proposition de loi pour l’interdire dans les documents administratifs.

 

L’écriture inclusive dites-vous ? L'écriture inclusive consiste  à inclure systématiquement le féminin dans la langue française. Par exemple, en écrivant « Madame la Maire » ou « La professeure », en féminisant le nom des métiers. La rédaction s’appuie ainsi sur plusieurs principes, au choix ou cumulables : féminisation des noms de métiers, emploi de formes doubles (citoyennes et citoyens), alternance de terminaisons (avec tiret, barre oblique, parenthèses, ou point médian : les étudiant·e·s)… mais aussi rétablissement de l’accord de proximité, objets inclus : en usage jusqu’au XVIIe siècle (« un tabouret et une chaise blanches » : chaise est le plus proche de l’adjectif, on accorde au féminin), il a disparu au profit de la règle du « masculin qui l’emporte », le masculin étant jugé le genre dominant.

 

Masculin qui l’emporte sur le féminin, masculin jugé comme genre dominant…Et quoi d’autre ? Soyons sérieux deux minutes. Comment l’écriture, les terminaisons, les mots auraient-ils à voir avec le sexe, voire avec  le problème de domination d'un sexe sur l'autre ? Depuis quand agit-on sur les idées en agissant sur la langue ? N’est-on pas en train de confondre les « signes » et les « choses » ? Le masculin et le féminin dans la grammaire française ne sont pas liés à l'espèce humaine. Ils sont complètement arbitraires concernant les choses. On dit ainsi : un fauteuil, une chaise…Idem concernant les noms d'animaux. Le terme « la girafe » n'a jamais voulu dire que toutes les girafes sont des femelles, que tous les zèbres sont des mâles.

 

Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle a alerté devant cette aberration « inclusive », ajoutant « la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures ». Bon, cette noble institution et ces petits hommes (et femmes !) verts y vont un peu fort. Quoi que…

 

Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Quant aux promesses de la francophonie, elles pourraient se trouver en fâcheuse posture si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète.

 

J'aime ce commentaire de Gilbert Casasus (professeur ordinaire en Études européennes auprès de la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg) : "Parce qu’il n’y a pas d’amour sans culture et pas de culture sans amour, les deux genres s’imbriquent l’un dans l’autre, comme un homme dans une femme, comme un plaisir couplé à la jouissance. À l’exception de certaines allusions salaces, la féminisation des mots n’est pas répréhensible en soi. Elle le devient lorsqu’elle frise la bêtise ou, pour paraphraser Molière, se conjugue avec des « précieuses ridicules » qui sont à la cause des femmes ce que le snobisme est à l’art de vivre".

 

Et si nous commencions déjà par connaitre le sens des mots pour nous exprimer au plus juste et au plus près de notre pensée ? En guise de conclusion, voici quelques vers de la célèbre "tirade du nez" de mon ami Edmond Rostand, illustrant à merveille la quintessence et la beauté de la langue française. Cher·e·s lecteur·rice·s, portez-vous bien Bisou

 

« Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit,

Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres,

Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres,

Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot !,

Eussiez-vous eu, d’ailleurs,

L’invention qu’il faut,

Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,

Me servir toutes ces folles plaisanteries,

Que vous n’en eussiez pas articulé le quart,

De la moitié du commencement d’une,

car Je me les sers moi-même, avec assez de verve,

Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve ».

 

(*) Capillotracté : tiré par les cheveux

 

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Image par Bruno /Germany de Pixabay

 



20/02/2021
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