Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

Précieux langage, langage précieux

La périphrase (*) est partout : le vieux continent (l’Europe), le 7ème art (le cinéma), la langue de Molière (le français)... Plus récemment, dans ce 21ème siècle passablement encombré, agité, et chahuté, cet exercice de style a fait sa réapparition pour édulcorer certains mots, certains termes pour lesquels il semblerait que nous ayons quelque peine à les énoncer simplement et clairement. Ainsi en est-il des « personnes du 3ème âge », des « personnes de couleur », des « personnes non voyantes », des «personnes à mobilité réduite »… Quand on sait que c’est aussi l’économie qui régit le langage, et que le parler courant a tendance à trouver le plus court chemin pour arriver à un point, on se dit que ce n’est pas gagné.

 

L’exercice de la périphrase ne date pas d’hier. Au 17ème siècle, il était fort usité. Dans un certain milieu, la périphrase était là pour sauver ces précieux, non pas du ridicule, mais de l’inconvénient d’être compris. A cette époques, les précieuses sont convaincues qu’une pensée ne vaut rien lorsqu’elle est entendue de tout le monde, et c’est une de leurs maximes de dire qu’il faut nécessairement qu’une précieuse parle autrement que le peuple, afin que "ses pensées ne soient entendues que de ceux qui ont des clartés au-dessus du vulgaire" (Somaize). La périphrase était utilisée soit pour éviter un mot bas, soit pour montrer son ingéniosité. Au lieu du superlatif, on employait le dernier : « Cela est du dernier galant ».

 

Ainsi, parlait-on de la belle mouvante (la main), des coussinets d’amour (les seins), des trônes de la pudeur (les joues)…


Voici quelques périphrases tirées du « Dictionnaire des Précieuses » de Somaize :

 

Le conseiller des grâces (le miroir)
Les commodités de la conversation (le fauteuil)
L’empire de Vulcain (la cheminée)
L’affronteur des temps (le chapeau)
La jeunesse des vieillards (la perruque)
Se délabyrinther (se peigner)
Lustrer son visage (se farder)
Les miroirs de l’âme (les yeux)
Les trônes de la pudeur (les joues)
Les écluses du cerveau (le nez)
Les perles de la bouche (les dents)
L’interprète de l’âme (la langue)
Les coussinets d’amour (les seins)
Le rusé inférieur (le derrière)
La belle mouvante (la main)
Les chers souffrants (les pieds)
L’universelle commodité (la table)
Un bain intérieur (un verre d’eau)
Le soutien de la vie (le pain)
Sentir les contrecoups de l’amour permis (être en couches)
Exciter le naturel de l’homme (rire)
Les perles d’Iris (les larmes)
Le paradis des oreilles (la musique)
Le supplément du soleil (la chandelle)
La porte du jour (une fenêtre)
Un nécessaire (un valet)
L’empire de Morphée (le lit)
L’instrument de propreté (le balai)
Le flambeau de la nuit (la lune)
Un agrément rustique (une forêt)
Le cimetière des vivants et des morts (une librairie)

 

(*) : locution ou suite de mots employée pour désigner quelque chose (ou quelqu'un)

 

 

 

 

 



21/04/2022
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