Pif, mon père et moi

Un jour que j’étais enfant, je ramenai à la maison un chien. Marron et jaune. Enfin plus exactement, je rapportai un chien dessiné sur une couverture de magazine. Et là…

- Pas question de donner de l’argent aux cocos !

- Mais Papa, c’est au marchand de journaux que j’ai donné de l’argent. C’est qui Coco ?

Ma mère tenta en vain de raisonner mon père, lui expliquant qu’à mon âge, je ne pouvais savoir qui étaient ces « cocos ».

- Justement, c’est là qu'ils sont très forts ! C’est en s’adressant aux enfants qu’ils infiltrent les rangs. Pas question de donner de l’argent aux communistes !

Voici de quelle façon Pif fit son entrée à la maison. Inutile d’ajouter qu’il ne fut pas le bienvenu. Pif (né en 1969) était effectivement la propriété du Parti communiste. Le titre était le digne héritier des valeurs de ce même parti. Dès sa création, le journal s’était donné une mission : donner aux enfants des clés humanistes pour comprendre le monde. Le journal faisait aussi la part belle à ce que l’on n’appelait pas encore l’écologie, au respect des hommes entre eux (Rahan). Au meilleur de sa forme, le journal tirait entre 500 000 et 1 million d’exemplaires, autant dire, un rêve pour un éditeur de presse. Pif fut sans nul doute l’un des plus gros succès de la presse enfantine française.Un succès dû, entre autres, à un coup de maître en matière de marketing : inclure dans chaque édition dudit magazine, un gadget. Et là, l’imagination a atteint son acmé.

Donc, en douce de mon père, mais avec la complicité de ma mère (qui voulait avoir la paix), je connus la joie des pois sauteurs du Mexique (l’un des gadgets les plus emblématiques de l’hebdomadaire avec 1 million d’exemplaires vendu). A raison de plusieurs pois sauteurs dans un sachet, je vous laisse imaginer l’invasion dans les foyers. Ces pois mexicains se mettaient à sautiller dès qu'on les approchait d'une source de chaleur. Des œufs de papillon, calés à l'intérieur de petites coques attendaient les conditions climatiques propices pour se frayer un chemin vers la sortie et se transformer en papillons.

Autre gadget, « le stylo de l’agent secret ». Imaginez un instant…. Du haut de mes 9/10 ans, écrire avec une encre invisible qui se révélait à la chaleur. C’était décidé. Plus tard, je serai espionne et je ferai des œufs carrés avec la machine à faire des œufs cubiques (autre gros succès gadgétique). Le mode opératoire était simplissime : un dispositif permettait de transformer la forme des oeufs durs pour leur donner l'aspect d'un cube. Et ça fonctionnait ! Je sentais à cet instant que j’étais probablement en train de révolutionner la cuisine. Que dis-je la gastronomie.

Il y eut aussi la plante carnivore, la boisson des « cosmonautes » (n’oublions pas, Pif était très très orienté « à l’Est » ; aux Etats-Unis les astronautes, à l’URSS les cosmonautes). Cette boisson se présentait sous la forme d’un sachet de poudre orange que l’on mélangeait à de l’eau. Ce breuvage était en réalité du « Tang », une marque retirée de la vente il y a bien longtemps.

Quant à mon père, il fut loin d’en être quitte avec ses « cocos ». Il eut encore maille à partir avec mon jeune frère qui, allez savoir pourquoi, se prit de passion pour Hercule le chat (et poteau de Pif), fasciné qu’il était par une particularité qu’arborait ostensiblement le félin : Hercule portait sur la joue un sparadrap (rouge bien-sûr) en forme de croix. Ni une, ni deux, dans le plus grand des secrets, mon frère récupéra dans l’armoire à pharmacie le nécessaire pour parvenir à ses fins. C’est ainsi qu’il se trouva un matin prêt à partir à l’école maternelle, portant sur la joue un pansement en forme de croix. Il fut bien-sûr inutile d’envisager de lui faire retirer ledit accessoire qu’il décida de garder plusieurs jours... Et mon père de ravaler son agacement. Trop forts ces cocos !