Sous la plume de Jeanne

Sous la plume de Jeanne

I love my Mom !


Il devait être aux alentours de minuit. Entre veille et sommeil, je me laissais doucement partir dans les bras de Morphée.  Soudain, je sentis un poids recouvrir mon corps. J’ouvris les yeux. Une silhouette penchée sur le lit ajustait ce qui ressemblait à une couverture.

 

- Tu m’as fait une de ces peurs !

- Je me suis dit que tu pouvais prendre froid. Désolée ma minette.

 

Comme une petite souris, ma mère s’éclipsa, ajoutant « C’est rien. Rendors-toi ». Tirée de mon premier sommeil et consciente de mes difficultés chroniques à m’endormir, je pestais. Un peu grognon, je réajustais la couette avant de réaliser en souriant que j’avais beau avoir passé le cap de la cinquantaine depuis quelques années déjà, aux yeux de ma mère,  j’étais toujours « sa minette ».

 

Sauter dans le grand bain, passer l’épreuve du feu, cela nous arrive à tous. Le premier grand saut dans l’inconnu, c’est probablement notre première rentrée scolaire. Des grenouilles dans le ventre, la gorge nouée malgré la présence protectrice et rassurante d’un parent. De l’enfant ou du parent, pour qui ce moment est-il le plus difficile à vivre ?

 

C’était un samedi de juin. Depuis plusieurs jours, le mercure s’échappait des thermomètres pour atteindre des sommets rarement atteints. Ma nuit avait été compliquée. Trop chaud mais surtout une appréhension viscérale qui me rappelait ces rentrées scolaires. Dès potron-minet, j’étais debout, les traits tirés. Cela faisait des lustres que j’en avais rêvé. Mais voilà, le jour venu, c’était une toute autre paire de manches. Je ressentais pourtant une vive excitation avec cette envie d’entrer dans l’arène, signe, à mes yeux, que j’étais sur le bon chemin. Il me fallait juste sauter le gué ; ce gué qui s’appelait la peur.

 

« Peur de quoi ? » m’avait-on demandé à juste titre. « Ce roman, c’est bien toi qui l’as écrit ? Qui mieux que toi pour en parler ? ». Tout cela, je le savais bien-sûr. Mais dédicacer pour la première fois son premier roman, cela faisait beaucoup de « première fois ». Le cadre choisi n’avait rien à voir avec celui feutré d’une librairie. « Sur un marché ? Quelle drôle d’idée ». C’est justement parce que la démarche n’était pas banale que je souhaitais qu’il en soit ainsi.

 

Il m’avait été proposé de dédicacer mon roman sur le marché de Pontoise, ville où vivait ma mère. J’avais accepté. Non seulement parce que j’avais senti une grande bienveillance autour de ce projet mais aussi parce que l’idée me plaisait. Hors les murs feutrés et rassurants d’une librairie, je prenais cela comme un défi.

 

- Tu as bien dormi ?

- Je suis prête.

 

Quelques minutes plus tard, nous partions, ma mère et moi, chargées comme des baudets. La chaleur commençait à se manifester après une nuit qui avait oublié d’être fraiche. Les grenouilles commençaient à croasser dans mon ventre.

 

- Tu as de l’eau ?

- Oui.

- Tu m’appelles lorsque c’est terminé ?

- Oui.

 

A 9 heures, le stand était installé. Les réjouissances pouvaient commencer. Je remerciais ma mère pour son aide et l’invitais à partir.

 

- Oui, oui, me répondit-elle sur un ton peu convaincant.

- Ça va aller. Tu peux partir.

- Oui, oui...

Simulant un éloignement, je la vis revenir de plus belle quelques minutes plus tard.

 

- Maman !

- Ok j’y vais.

 

Pour cette épreuve du feu, je devais affronter deux vents contraires : Personne ne m’attendait, c’était une certitude. Quant à la canicule, elle avait dissuadé un certain nombre d’habitués. Je m’amusais à regarder les gens qui passaient. Renfrognés, souriants, curieux, inexistants…Un peu plus éloigné de moi, je distinguais une silhouette longiligne qui me rappelait quelqu’un. Plus exactement, quelqu’une. Ma mère louvoyait entre les allées du marché, discrètement. Du moins le pensait-elle. Je lui envoyais un texto lui signifiant que je l’avais repérée. Un message en retour s’afficha sur l’écran de mon téléphone : « J’allais justement partir ».

 

Les heures passant, j’avais gagné en assurance ; j’avais décidé de changer de braquet et d’alpaguer le chaland. Cela m’avait plutôt bien réussi. En fin de matinée, j’avais vendu quatre exemplaires. Liquéfiée, épuisée, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Il devait être midi et quelque 38 degrés au mercure lorsque ma mère vint me chercher. Je lui suggérais de se mettre à l’ombre. Le temps de ranger, elle m’apprenait qu’elle avait passé sa matinée à aller voir les commerçants du quartier pour les informer que « ma fille dédicace sur le marché ! ».

 

- Je t’en ai vendu quatre !


J’en conclus que, de toute la matinée, ma mère n’était pas rentrée chez elle pour tenter d’y trouver un peu de fraicheur. Elle avait passé toutes ces heures à veiller sur moi et à se faire attachée de presse avec un plaisir certain.

 

En rentrant, toutes deux étions fatiguées. C’était maintenant à mon tour de veiller sur elle, de l’inviter à se reposer et de la remercier pour son amour qui, une fois de plus, m’avait portée ce matin-là.

 

- Je suis fière de toi ma minette.

 

Mère poule, mère louve ou mère tigresse lorsqu’elle apprend qu’une librairie (non loin de chez elle) que j’avais été solliciter, décline le référencement de mon dernier forfait d’écriture.

 

- Je vais aller lui dire ma façon de penser.


J’invitais ma mère à ne rien en faire. Elle n’en fit qu’à sa tête, plus déterminée que jamais, exprimant sans filtre son mécontentement mâtiné d’un sentiment d’injustice.

 

- Vos rayons croulent sous les livres de développement personnel, de bien-être et autres bonheurs improbables et vous ne prenez pas le roman écrit par « Ma Fille » ?

- Heu….

 

Et si je vous dis que, la cinquantaine passée, plus que jamais, j’aime me réfugier dans cette relation maternelle enveloppante, croyez-moi. J’en mesure chaque jour le précieux. Même si j’ai passé l’âge d’être son petit poussin. « Des petits poulets autour de leur mère, c'est joli à voir comme une branche chargée de fruits ».  Jules Renard

 

 

mom-48958_1280.png

 

 

 

 



23/05/2020
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 21 autres membres